Le mot du senseï

Enseigner, c’est s’engager sans modération, et vouloir partager. Je n’ai jamais pu envisager le fait de donner des cours comme un simple loisir. Pour moi, il s’agit d’un engagement moral constant envers les apprenants qui vous font confiance. Il faut pouvoir être toujours présent, avoir un comportement exemplaire avec tous, pouvoir répondre à leurs questions après une séance ou avant une échéance pour eux. Le professeur doit apprendre aux élèves à apprendre par eux-mêmes, en étant curieux, ouverts d’esprit et exigeants. Il faut semer, et semer encore, en chacun la volonté de perfection, la passion du karaté tout en encourageant le ressenti personnel dans la pratique. Ce ressenti qui initiera la réflexion, qui fera qu’ils progresseront. Et quand ils voient qu’ils y arrivent, la confiance s’installe, le bien-être aussi et alors il existera plus de chance qu’ils veuillent continuer. Cependant, la technique ne doit pas rester éloignée des valeurs morales que porte le karaté. Et en enseignant, il reste nécessaire de montrer que l’on peu se transformer véritablement grâce à elles.

Avec les années, j’ai appris que la nature humaine est inconstante au regard des engagements prononcés. Que la conséquence en est que le professeur ne doit rien attendre en retour de ce qu’il donne. Des gens partent, arrêtent, changent de discipline. C’est ainsi et il faut l’accepter sans amertume ni regret. Mais quand les hasards de la vie vous donnent l’occasion de revoir ces personnes et qu’elles vous confient un « Merci pour ce que vous m’avez apporté », un « Le karaté me manque en vous voyant ; je crois que je vais revenir » ou encore un « Pardon d’avoir arrêté sans rien vous dire », je me dis que la voila la récompense du professeur et que ces agréables paroles en plus de faire plaisir, gomment bien des moments de doute.

Si j'estime avoir atteint une compétence technique correcte, je reste parfaitement conscient du chemin qu’il me reste à parcourir. Il m’est arrivé quelquefois d’être content de ce que je savais ou de ce que j’avais pu faire. Mais je n’en ai jamais été complètement satisfait. Une impression à la fois pesante et stimulante d’incomplétude me motive à mieux comprendre encore, à chercher plus loin. Je considère qu’il reste toujours un détail à affiner dans la technique, un rythme à parfaire, une présence à moi-même et à l’autre à développer. La recherche reste sans fin et les progrès possibles aussi.

Emmanuel Labouebe